Alphonse Mucha et la pop culture japonaise
Si vous ne connaissez pas le nom Alphonce Mucha, alors vous connaissez sans doute ses affiches publicitaires. Fer de lance de l’Art nouveau, son style floral et iconographique sera indissociable du début du XXe siècle. Mais alors que la mode Art nouveau fut balayée aussi vite qu’elle est arrivée, ses œuvres ont traversé le temps. Son style reconnaissable entre tous influence encore de nos jours des artistes des quatre coins du monde. Français, Indiens, Japonais tous utilisent encore ses codes et sa manière incroyable qu’il avait de mettre en avant les femmes.
Qui est Mucha ?
Mucha est un artiste Tchèque né en 1860 (La Moravie à l’époque) et qui accède à la célébrité dans le Paris de la fin du XIXe siècle. Il est candidat à l’Académie des beaux-arts de Prague, mais sa demande est rejetée. Pendant ce temps, il réalise des décors de théâtre d’abord en Moravie, avant de partir pour Vienne. Ce n’est qu’en 1885, qu’il est parrainé et financé par E. Khuen-Belasi et qu’il peut commencer ses études à l’Académie de Munich. Le jeune homme se rend ensuite à Paris en 1887 pour continuer ses études au sein de l’Académie Colarossi et de l’Académie Julian. Après avoir quitté l’académie, il devient illustrateur.
Pour la gloire il devra attendre encore quelques années. En 1894, il réalise l’affiche de la pièce de théâtre Sarah Bernhardt : Gismonda. Son affiche rencontre un vif succès, si bien que Sarah Bernhardt l’engage pour un contrat de six ans. Pour en découvrir un peu plus sur le premier monstre sacré de l’histoire, l’exposition « Sarah Bernhardt et la femme créa la star » se déroule au Petit Palais jusqu’au 27 août 2023.
A partir de cette époque, son style et son nom vont prendre toute l’ampleur qu’on lui connaît aujourd’hui. Il va illustrer des publicités, élaborer des décors et des bijoux. C’est un touche à tout qui marquera durablement l’Art nouveau. Mais les modes passent et il décide de partir pour de nouvelles aventures sur le nouveau continent.
Il s’installe ensuite avec son épouse aux Etats-Unis pour une expérience mi-figue, mi-raisin. Il finit par s’installer à Prague et se lancer dans sa dernière œuvre maîtresse loin de l’illustration qui l’a fait connaître à savoir une série de tableaux : « L’épopée Slave ». Il s’agit d’un ensemble de 20 tableaux (dont un triptyque) avec toujours cette composition iconographique qu’on lui connaît. Cette œuvre a été présentée à Prague le 28 octobre 1928, à l’occasion du dixième anniversaire de la Tchécoslovaquie.
En 1938, il contracte une pneumonie dont il mourra l’année suivante après avoir été interrogé par la gestapo. Pendant de nombreuses années ses œuvres vont être oubliées, ses décors jetés. Dans les années 60 et une exposition du Victoria and Albert Museum à Londres. Depuis, ses œuvres font l’objet de nombreuses expositions et redécouverte. Il a su rester durablement comme aucun autre artiste de l’Art nouveau ne l’a été dans l’imagerie populaire.
Art nouveau, japonisme et pop culture
L’Art nouveau est né tout d’abord en Belgique, puis s’installera en France. C’est un style artistique qui se développe à la fin du XIXe siècle et qui englobe aussi bien l’architecture que les arts décoratifs. Remettons l’émergence de cet art dans son contexte. L’industrialisation à outrance pousse les artistes de tous les horizons à retrouver des racines dans un Art nouveau (modern style en anglais) qui donnera la part belle à la représentation de la nature et de l’humain. Les animaux, les fleurs, les couleurs, des ornements, ces représentations sont considérés comme favorables à l’épanouissement de l’homme moderne.
Une des influences des peintres impressionnistes et de l’Art nouveau seront les l’ukiyo-e, mouvement artistique japonais de l’époque d’Edo avec notamment des estampes qui vont avoir un vif succès en Europe. Le Japon est un pays fermé depuis fort longtemps et quand enfin il s’ouvre au monde en 1854 l’occident s’émerveille de ses étampes et de ses décorations. C’est un des éléments qui nourrira l’Art nouveau. Un sens du détail et de l’esthétisme totalement rafraîchissant pour l’époque. Mais aussi dans sa représentation de la nature et les couleurs pastels rendant chaque illustrations très douces.
Il était donc presque normal qu’en retour les artistes Japonais s’inspirent de ses illustrations. Ryōko Yamagishi, qui fait partie du Groupe de l’an 24 et qui a grandement influencé le shōjo manga moderne, compose déjà ses illustrations avec une influence à peine voilée à Alphonse Mucha. Mais bien d’autres artistes ont été touché par sa façon de mettre en avant la femme et la nature. Une génération d’artistes dans les années 1960-1970 vont s’inspirer de Mucha. Comme Hideko Mizuno, Akiko Hatsu ou encore Yukiko Kai, des mangaka piliers du shōjo manga mais toujours inédites en France.
Yoshitaka Amano le fait avec son propre style. Le style si particulier du peintre à influencé durablement la pop culture japonaise et le manga. Des CLAMP (RG veda, X, Magic Knight Rayearth, Cardcaptor Sakura…) en passant par Kōsuke Fujishima (Ah! My Goddess).
Parmi les chara designer et illustrateur citons aussi Nobuteru Yuki (Les Chroniques de la guerre de Lodoss), Akihiro Yamada (Lodoss, la dame de Falis, Les 12 Royaumes) ou encore Mutsumi Inomata (Le continent du vent). Si on le voit peu dans la version télé, le manga de Naoko Takeuchi, l’autrice de Sailor Moon, reprend les cadres, les fleurs et les cheveux longs et soyeux si emblématiques du style Art nouveau.
La liste est infinie tellement il eu des répercussions, même encore de nos jours avec des artistes comme Kamome Shinohara. Impossible de citer tout le monde sans faire une liste totalement indigeste. Nous vous invitons à regarder d’un œil neuf vos auteurs favoris passés et présents.
Pourquoi autant d’artistes utilisent-ils ces codes ? Sans doute parce qu’il est très synthétique et déjà à son époque il était innovant et percutant. Ce sont des affiches publicitaires qui devaient marquer le passant durablement.
Ce n’est certainement pas un hasard si l’actuelle conservatrice de la Fondation Mucha est une Japonaise, Mme Tomoko Sato. Elle a étudié l’histoire de l’art et de l’architecture à l’Université de Manchester et écrit des ouvrages sur Alphonse Mucha. L’appropriation des codes des œuvres de Mucha est d’autant plus facile pour les artistes Japonais, car ce dernier s’était inspiré des ukiyo-e, le chemin inverse est d’autant plus évident.
Eternel Mucha
Cette exposition immersive et interactive nous fait découvrir l’œuvre et l’héritage d’Alphonse Mucha d’une manière inédite. Ne vous attendez pas à y voir des originaux, mais plutôt à redécouvrir son œuvre de façon ludique et expérimentale. Plusieurs pièces vont vous présenter ses œuvres de façon exceptionnelle.
Très bien mis en avant dans l’exposition Etnernel Mucha, ce dernier utilise la photographie pour se faire un catalogue de modèle. Il fait poser ses amies et parfois quelques modèles. Il se construit un catalogue qui lui permet de créer ensuite ses affiches et ses peintures. Le recours à la photographie est devenu plus courant et moins coûteux que de faire poser un modèle durant des jours et des jours. Parfois lui sera reproché des dessins trop réalistes.
L’exposition est exceptionnelle et permet de rentrer dans les œuvres intemporelles d’Alphonse Mucha. Elle enchantera les amateurs de l’artiste, comme les non initié.
Exposition Eternel Mucha au Grand Palais immersif
Du du 22 mars 2023 au 5 novembre 2023
Merci à Ikuyo Nakao et Adèle Bouillier pour la visite de l’expo Eternel Mucha
Bibliographie :
– Art nouveau
– Japonisme
– Catalogue de l’exposition Mucha au musée du Luxembourg
– Mucha et le manga : rencontre entre deux cultures populaires
Article écrit pour Journal du Japon