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Interview de Tony Valente le créateur de Radiant (Journal du Japon)

Photo : Juliet Faure ©Journal du Japon

Grace à Journal du Japon j’ai pu interviewer Tony Valente le génial dessinateur de Radiant. J’en parlais pour la première fois en 2014 lorsque j’ai connu le manga (lire ici), j’ai aussi suivi l’anime l’hiver dernier sur Crunchyroll (lire ici). C’était donc un grand honneur pour moi de le rencontrer à Japan Expo 2019. Ce fut l’interview qui a lancé les festivités et c’était un grand plaisir de discuter.

Bonjour, nous vous avions interviewé en 2013, depuis le succès de Radiant n’a fait que grandir. Aviez-vous imaginé aller aussi loin avec Seth ? Et qu’est-ce qui fait le succès de Radiant ?
Non, vraiment je n’avais pas imaginé aller aussi loin. Je pensais que la barrière des 10 tomes, c’était sans doute un maximum même quand j’envisageais plus de 3 tomes. C’était compliqué d’imaginer que ça aille vraiment au-delà et si vite.

Je pense que chacun peut trouver un élément qu’il a aimé dans l’histoire ou dans les personnages qui fait qu’il aime la série. La base du succès de Radiant, cela a vraiment été les lecteurs qui ont fait du bouche à oreille. Cela a été vraiment incroyable, même encore aujourd’hui. Je peux rencontrer des groupes avec une personne qui pointe une autre personne et qui me dit : “C’est lui qui m’en a parlé” et ainsi de suite…
J’ai l’impression que pour un lecteur, il y en a 10 autres autour qui ont été convertis. C’est comme ça et cela continue encore. C’est vraiment ce qui a fait le succès de Radiant. Pas d’opération commerciale particulière, pas de télé ou de je-ne-sais-quoi. Juste les lecteurs !

Que nous réservez-vous pour le tome 12 ?
Ahah le tome 12 réserve des surprises ! J’avais laissé les personnages dans le tome 11 dans une situation qui paraît un peu inextricable où ils sont tous coincés physiquement. Je vais prendre le temps dans le prochain tome pour les faire sortir de cette impasse. Ensuite, va commencer le nouvel arc – je ne sais pas encore comment il va s’appeler – et ils vont aller dans le fief des inquisiteurs pendant le concile des généraux inquisiteurs, les plus grands inquisiteurs seront ainsi tous réunis là-bas. Beaucoup de nouveaux personnages vont être introduits dans ce nouvel arc.

Photo : Juliet Faure ©Journal du Japon

Cet arc-là ne sera pas le dernier, il y en aura encore quelques uns derrière. Je pense que celui-ci sera sans doute aussi long que le précédent voire plus long. C’est un peu comme s’il y avait un fil tendu qui serait l’histoire sur lequel je visualise des nœuds. A chaque arc je sais où je veux aller pour le climax. Je sais ce que je veux raconter, la manière dont je veux le raconter et y aller. Je dois tout faire pour que mes personnages, mon histoire aillent vers ce climax [NDLR : point culminant de l’histoire]. Et des nœuds, j’en ai encore quelques uns. Pour le moment, je n’en ai développé que deux : Rumble Town et Les chevaliers sorciers et j’en ai encore au moins 3, si ce n’est plus. Trois sont vraiment bien définis dans ma tête donc autant de nœuds sur ce fil conducteur.

Et j’ai une fin en tête. Elle s’enrichit : il y a des petites bifurcations par rapport à ce que j’avais imaginé au début, mais l’essentiel est là. Plus j’approche de la fin, plus cela s’affine et plus des portes se ferment tandis que d’autres s’ouvrent.

C’est bien connu, plus il y a d’attentes et plus il y a de pression. En ressentez-vous ?
Oui, il y en a. Quand j’ai commencé le second arc (Les chevaliers sorciers), j’avais la pression car juste avant j’avais fait un arc qui se terminait d’une manière un peu sombre et dramatique et que les lecteurs avaient bien réagi. Donc quand on commence un arc, forcément le tome est plus lent, plus léger, il faut introduire de nouvelles choses. C’est aussi le moment de replacer de l’humour. J’avais vraiment peur que les lecteurs trouvent ça beaucoup moins bien.
Heureusement, les lecteurs ont suivi. Ils se sont tout de suite dit : « on comprend c’est le début d’autres choses, c’est un nouvel arc. » Si le tome 4 reste leur préféré, à la fin du nouvel arc les tomes 9 et 10 sont à nouveaux leurs préférés. J’ai compris qu’il ne faut pas s’affoler et que ça fonctionne sur un arc entier. Je suis un canevas déjà éprouvé, celui des shōnens, et les lecteurs sont habitués à ce type de lecture.

J’avoue que cela met la pression quand même. J’aurais voulu le faire dans le tome 11 mais je n’étais pas prêt et ce sera dans le tome 12. Je n’avais pas suffisamment de contenu intéressant alors j’ai rajouté ce qui se passe sur le bateau. Tout ce qui se passe avec la sorcière je voulais l’introduire, mais bien après. Je me suis dis que comme je ne suis pas prêt pour le nouvel arc, il serait intéressant de parler de cela qui apporte des réponses à ce que disait Doc dans le tome 1. J’ai mis cette parenthèse le temps de préparer la suite. Parce qu’en vrai je me mets la pression ! Il faut que ce soit intéressant, mais aussi beau à regarder donc je suis à fond dans mes recherches. J’ai un tiroir rempli de ces recherches et justement, j’avais besoin de réfléchir et de fermer quelques portes pour prendre une direction bien définie.

Quel est le personnage que vous aimez le plus dessiner et pour quelle raison ?
Seth parce que c’est le plus naturel. Après il n’y a pas de préférence, on va dire que cela dépend des scènes. Par exemple, j’ai adoré dessiner Doc dans le tome 12. Pas juste parce qu’il fait le con, vous verrez… De plus, comme c’est un personnage changeant, il est chouette à dessiner. On le voit adulte, après bébé, on le voit un peu plus grand, maintenant encore un peu plus, rien que ça, c’est un kiff ! Je suis content d’avoir eu cette idée parce que je m’amuse beaucoup avec ce personnage. Là, nous sommes dans une direction différente : du coup, on a des scènes plus sérieuses avec lui et j’ai vraiment aimé ça. J’aime dessiner des personnages quand ils vivent un truc. Et là, il vit des choses intenses qui font que j’ai adoré le dessiner dans ce tome.

Après le préféré des lecteurs, c’est Dragunov que j’adore dessiner. Ils adorent le voir et ça me donne encore plus envie de le dessiner (rires). Donc je m’amuse à changer ses habits… J’aime beaucoup Torque aussi mais il est difficile à dessiner et du coup, je ne le fais pas souvent.

Vous avez dessiné la couverture de la nouvelle édition du livre HISTOIRE(S) DU MANGA MODERNE. Cela fait quoi de faire partie de cette histoire justement ?
Ah oui c’est vrai. (rires) Je ne l’avais pas envisagé de cette façon. Quand on y réfléchit, c’est logique mais je n’y avais pas pensé comme ça. Pour moi, c’était quelque chose qui ne me concernait pas. Mais en fait oui. J’y penserais ! (rires)

Et l’anime dans tout ça ?

Comme la saison 2 est bientôt d’actualité, passons maintenant à l’anime dont la première saison a été diffusée sur la NHK au Japon et sur Crunchyroll, ADN, Wakanim et J-one en France. Est-ce que vous y participez ?
Oui, un peu. Je ne produis pas de contenu mais je suis consulté pour tous les designs et tous les scripts. Je les vois passer, je les corrige et je les commente.

Souvent au Japon, c’est l’éditeur qui prend le relais. D’ailleurs, le personnel de la NHK m’a dit qu’il n’y avait jamais autant d’implication de la part d’un auteur. Ils étaient contents, et pour l’équipe de production, cela a été très motivant. Je suis content de voir passer le travail parce que, du fait de nos deux cultures différentes mais aussi à cause de la traduction, il y a des incompréhensions. Parfois ce sont des subtilités, mais qui peuvent avoir des répercussions plus tard. Je suis donc content d’être impliqué. Ensuite, quand j’aime je leur dis aussi et j’ai ensuite des retours de l’équipe qui a été très motivée par mes commentaires et du coup, ils donnent tout sur cette scène. Il y a un vrai aller-retour, ce qui est chouette.
En fait, ils ont l’habitude que quand des auteurs interviennent, c’est pour leur dire « non ». C’est donc assez rare mais quand cela arrive, c’est le couperet. Ça m’arrive de dire non aussi, mais j’y mets les formes. Maintenant que je les ai rencontrés, je les connais et je sais qu’ils essaient tous de bosser au mieux. Par exemple je leur dis : « Là, je pense que vous n’avez pas compris ce que je voulais dire, donc voilà ce que je veux dire. Là, il ne peut pas dire ça, je suggère qu’il dise plutôt ça ». Ils comprennent et prennent la décision, ils font une autre scène.

Par exemple, là ils sont en train de réécrire tout un épisode que j’avais validé parce que 3 épisodes après, j’avais fait un commentaire sur un personnage et ils se sont dit que cela remettait en question quelque chose qu’ils n’avaient pas compris. Ils sont donc revenus en arrière et l’ont réécrit complètement 4 fois. Et ils doivent me l’envoyer pour validation. Ça va jusqu’à ce point-là. C’est pas moi qui est demandé de le réécrire, mais ils ont compris des choses et ont préféré le faire.

Qu’est-ce que cela vous a fait de voir Radiant à la télé ?
C’est chouette ! Pour la NHK, cela a été un succès. Pour le studio Lerche (Given, Kanata no Astra) c’est l’anime qu’ils ont le mieux vendu à l’international. Je pensais que c’était déjà le cas avec Assassination Classroom, mais ils m’ont expliqué que c’était compliqué de le vendre car ce sont des jeunes qui se battent avec des armes. Quand bien même les munitions sont des billes et que ce n’est pas létal pour les humains, ils passent quand même leur temps à se tirer dessus. Cela a donc été très compliqué à vendre partout : au Japon ça a cartonné mais pas forcément ailleurs. Leur vrai premier projet familial, cela a été Radiant qui s’est vendu dans 120 pays ! C’est un gros accomplissement. Ils ont aussi gagné des prix pour certains épisodes.

Dans l’univers du manga, il n’y a plus désormais de frontières. Des français, des coréens, des italiens, des allemands, des chinois et tant d’autres utilisent désormais les codes scénaristiques et les graphismes « japonais ». D’après votre expérience, pourquoi maintenant cela fonctionne ?
C’est clair qu’il y a beaucoup plus de monde qu’avant qui en font. Comme on a grandi avec, on est plein à en faire et il y en a plein qui se sont cassés les dents dessus. Grâce à eux, le chemin est plus facile à emprunter. J’ai commencé dans les meilleures conditions possibles. Je n’étais pas le premier à en faire chez Ankama et loin d’être le premier à en faire dans l’industrie en général. Il y avait déjà plus de 10 ans de manga français avant que je n’arrive. Si j’étais arrivé avec Radiant 10 ans avant, je ne suis pas sûr que cela aurait fonctionné comme ça marche aujourd’hui. Et je ne suis pas sûr d’avoir l’énergie de Reno Lemaire (Dreamland) pour tenir envers et contre tous, jusqu’à avoir un public fidèle et que son titre cartonne, quand on voit comment c’était perçu au début. Quand je suis arrivé, le chemin était défriché, tout était prêt pour que ça marche et c’est tombé sur moi. C’était le bon timing. Le facteur chance est tellement important.

On est nombreux, ça doit aider aussi pour que les éditeurs s’y intéressent. Comme il y a des titres qui marchent, les offres se multiplient. Tous les nouveaux auteurs qu’il y avait l’année dernière à Japan Expo, c’était fou. On sent que tous les éditeurs veulent s’y essayer. Il y en a qui m’ont dit qu’ils ne voulaient pas jusqu’à ce qu’ils voient que Radiant intéressait l’étranger. Et du coup, ils se sont dits « tiens, tout compte fait et si on s’y intéressait. » Quand cela dépasse du cadre de la France, ça les intéresse.

La BD française c’est très compliqué à exporter. Le comics, ça vient des États-Unis : ce qui est fait ailleurs, c’est compliqué aussi. Finalement, le manga c’est un format qui permet à des gens de toutes les cultures de faire voyager leurs titres.

Photo : Juliet Faure ©Journal du Japon

Qu’est-ce qui fait donc la qualité d’un bon manga ?
De bons lecteurs ? (rires) Si je parle de mon point de vue, ce que j’aime : ce sont les histoires humaines comme par exemple dans Vinland Saga dans un contexte historique, ou alors comme dans One piece où c’est totalement fantasque. Beaucoup d’émotions et des personnages humains qui véhiculent une histoire qui est chargée de sens. J’aime les œuvres chargées de sens. Dans One Piece il y en a plein. Je sais que plein de gens ne veulent pas le voir mais je trouve que dans One Piece il y a beaucoup de choses incroyables. Naruto c’était le cas aussi, c’était incroyable avec tout ce que que cela abordait de philosophique. Donc pour le lecteur que je suis, c’est tout ça : une chouette histoire véhiculée par des personnages incroyables et qui raconte des choses qui tiennent à propos.

Merci à vous pour cette interview !

Interview réalisée pour Journal du Japon

Tanja

Tombée très tôt amoureuse du Japon, Tanja écrit sur la J-music, les mangas et les anime depuis 1997 dans des fanzines puis sur plusieurs webzine et sur son blog. Dès que l'occasion se présente elle part au Japon se ressourcer.

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