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[Interview] MIYAVI : « Everyday is Day 1 »

Tout amateur de j-music est plus ou moins conscient que Miyavi est un OVNI dans le paysage musical japonais. Guitariste hors pair au charisme hypnotisant, il n’a d’égal que les plus grands guitares héros de notre temps. Pourtant, ce n’est vraiment qu’en face de lui que l’on prend conscience de l’unicité de cet homme. Entourée d’une aura sans pareille, l’artiste respire la liberté, et la joie d’en jouir à sa guise.
C’est avec cette même joie simple mais vraie qu’il a accueilli Journal du Japon autour d’une tasse de thé. Une interview (qui aurait pu durer des heures) au cours de laquelle l’épicurien qu’il est nous a livré sans détour la philosophie du “Samurai Guitarist”.

L’interview et l’article ont été réalisé pour Journal du Japon

Journal du Japon : Êtes-vous heureux de revenir en France ?
MIYAVI : Oui, énormément ! Car J’ADORE cette ville. Vraiment. J’aime la façon dont les français respectent l’Art et toutes les autres cultures étrangères. Vous voyez ce que je veux dire ? C’est très différent dans les autres pays. Même l’architecture, les bâtiments que l’on voit dans la rue quand on marche, c’est tellement différent ! A chaque fois, j’ai l’impression d’être dans un endroit à part sur Terre.

Votre carrière est très riche en collaborations, notamment via les Kavki boyz, votre mini-album Samurai Sessions Vol.1 et le groupe SKIN. Pourtant, c’est l’aspect solo qui prédomine, vous n’avez pas vraiment de groupe à vous, uniquement un batteur sur scène. Est-ce pour préserver une certaine liberté ?
Oui ! Vous savez, j’aime sortir avec mes amis, mais je ne suis pas le genre de personne qui arrive à faire partie d’un groupe. Je suis solitaire. Cela apporte une certaine responsabilité : plus on en fait, plus on met d’efforts dans ce que l’on entreprend, et au final, plus la récompense est grande. Je ne dis pas que je veux récolter tous les lauriers, mais c’est assez difficile de garder le même cap, la même motivation, ou les mêmes perspectives dans un groupe. Tous les membres doivent penser de la même façon, avoir la même passion, les mêmes envies … et c’est compliqué.
Donc oui, je préfère être libre. Je ne cherche pas à protéger mon statut d’artiste solo, mais vraiment, cette liberté est plus simple à vivre. Quand je veux emprunter une certaine voie, j’y vais, c’est tout. Parfois c’est difficile, quand je vois un bon groupe par exemple, je ressens l’envie de faire partie d’un groupe. C’est vraiment cool de sortir avec les membres de son groupe, de ressentir l’alchimie qui peut naître entre nous … mais pour moi, être seul est ce que je gère le mieux.

Parlons un peu de votre mini-album Samurai Sessions Vol.1. Comment vous est venue l’idée de sa création ?
Après avoir sorti What’s My Name?, j’ai senti qu’en tant que guitariste, j’étais capable de créer mon propre style musical. Nous avions réussi à simplifier le son avec une guitare et une batterie uniquement, ce qui est au final quelque chose d’original, distinct de ce qu’il se fait actuellement. Mais après cela, pour accroître nos possibilités et gagner une certaine variété dans notre son, j’ai pensé : « nous devons faire des collaborations avec d’autres artistes » pour vraiment avoir d’autres perspectives, avoir quelque chose qu’on n’aurait jamais pu soupçonner. C’est pour cela que j’ai fait ce mini-album.

Comment avez-vous pu mettre tout cela en place ? Était-ce difficile d’organiser l’enregistrement avec tous vos invités ? 
Oh oui, c’était de la torture ! (Rires) Trouver des artistes voulant participer au projet était la chose la plus difficile. Le timing, ou simplement éveiller la curiosité … c’était très difficile. J’ai contacté des tonnes d’artistes, mais vous savez, il ne s’agit pas seulement d’intégrité ou de dignité artistique, il y a également le business. Certains artistes, même s’ils respectent ma musique, ne veulent pas faire ce genre de choses car ils ne veulent pas « partager leur succès » ou se mettre en danger. Mais une collaboration ne doit pas être vue ainsi, c’est plus pour le fun … et c’était vraiment fun d’ailleurs !

Votre dernier album marque une très nette évolution vers la musique électro, pourquoi ?
Avec What’s My Name?, j’ai fait énormément de concerts, notamment dans des festivals, et j’ai réalisé que la clé pour être en osmose avec le public était de chanter en chœur. Une mélodie qui se retient facilement, c’est très important : le public peut alors chanter, comme dans un karaoké. Donc avec des rythmes entraînants, des riffs de guitares bruts, j’ai décidé de rajouter plus de mélodies pop un peu plus « catchy ». C’est le concept de l’album. J’ai marié la musique électro au son de ma guitare. Mais tout ceci est plus évident en live, la dimension humaine de ce concept devient plus visible. L’énergie et la puissance de la musique, qui sont synthétiques sur album, deviennent réelles sur scène.

Le clip Secret est très sulfureux, aux antipodes du politiquement correct japonais. Quel message souhaitiez-vous faire passer à travers lui ? N’aviez-vous pas peur de choquer ?

Bonne question ! Tout d’abord, même si les japonais ne sortent pas de clip aussi orientés, les gens aiment ça !

Tout le monde oui ! (Rires)
Oui, tout le monde aime ça, car ça fait du bien … Enfin bref, pour revenir à votre question, mon dernier album MIYAVIaborde beaucoup de thèmes différents. Secret ne peut pas représenter l’album, ce n’est pas son message principal. Je parle de justice, de liberté, de tristesse, du pouvoir de la danse … et donc de sexe. C’est comme la vie, il y a plusieurs dimensions. On ne peut simplement pas dire « ma vie est comme ci, ou comme ça », beaucoup d’événements interviennent. Un jour, on se sent triste, le lendemain heureux … vous voyez ce que je veux dire ?
Donc pour cette chanson, je voulais parler de sexe comme quelque chose d’instinctif, ce n’est pas un secret ! Les gens n’en parlent pas vraiment … enfin certains oui, mais la majorité non. Pourtant ce n’est pas un secret, c’est quelque chose qui nous rattache à nos racines primitives. Si vous voyez un mec canon dans la rue, ou une femme si vous êtes lesbienne, vous ressentez quelque chose, vous voulez être relié à cette personne. Ce n’est pas essentiel, mais c’est plus instinctif. Et cela fait partie de la vie. Je ne dis pas qu’il faut coucher avec tout ce qui bouge, mais on ne peut pas exister sans cette initiation, c’est ainsi que nous sommes tous nés, donc ce n’est pas sale. Donc pour la chanson, je voulais qu’il y ait un rendu plus artistique via le visuel. Évidemment c’est très sensuel, mais je voulais que cela soit sensuel artistiquement parlant.

Dans toute votre discographie, quel est selon vous le morceau qui incarne le mieux votre esprit de samurai ?
Pour le moment, c’est What’s My Name?. Cette chanson incarne mon style de vie, ma façon de jouer de la guitare. Mais au niveau du message, j’aime vraiment Day 1. Cette chanson est le thème principal de mon dernier album. « Everyday is Day 1 », on peut tout recommencer à n’importe quel moment, n’importe quel jour. Il n’est jamais trop tard. Vous savez j’ai commencé à prendre des cours d’anglais il y a sept ans, j’avais 25 ans. Je pensais qu’il était trop tard, car selon les plans que je m’étais fixé pour ma vie, j’aurais dû être capable de parler anglais à 20 ans. Mais je n’avais aucune instruction … c’est difficile d’avoir une vraie éducation à ce niveau au Japon. Mais bon maintenant, je vous parle directement en anglais là, avec mes émotions. Si j’avais un traducteur à mes côtés ce serait différent, vous voyez ? Bref, il n’est jamais trop tard. Jamais. Même quand on a 50 ans, on peut commencer quelque chose de nouveau, c’est un « Day 1 ».

C’est vraiment le genre de pensées que je veux partager avec mon public, pas seulement des chansons cools et à la mode. J’adore ça, j’aime faire danser les gens au son de ma guitare, mais le message … c’est le plus important.

Vous avez commencé à jouer de la guitare un peu par accident, diriez-vous que c’est la guitare qui est venue à vous, qu’elle vous a choisie ? 
Hum … je ne sais pas (Rires)

Un peu comme un signe du destin ? 
Je ne crois pas non, je suis fort dans tout ce que j’entreprends (Rires) Plus sérieusement, je suis quelqu’un qui apprend très vite. Vous savez, au moment où j’ai touché ma première guitare, j’ai pu entrevoir mon futur sous les projecteurs, sur scène, devant des centaines de personnes … j’ai senti quelque chose.

Les tatouages semblent avoir une grande importance pour vous, pourquoi ? Est-ce une marque du temps, pour ne pas oublier, ou simplement pour l’amour de l’Art ? Quel est celui qui vous tient particulièrement à cœur ?
Les deux en fait. Mon prénom en coréen est celui qui a le plus d’importance pour moi. Dans mon dos, j’ai également deux tatouages particuliers: un idéogramme, mais également des sutras venant du bouddhisme que je lisais souvent quand j’avais 19 ans pour me calmer. Évidemment, j’en connais la signification … au final, nous, humains, ne sommes pas grand-chose, et chacun redevient calme un jour où l’autre, donc cela ne sert à rien de se prendre la tête sur tout, les choses ne cessent de changer, mais le calme revient toujours.
Concernant mon nom en coréen … je suis japonais, je ne connais pas le coréen, mais ce sont mes origines, je ne peux pas les éviter ou m’en débarrasser. Je respecte mes ancêtres, sans eux je n’existerais même pas.

Depuis vos débuts avec Dué le Quartz, beaucoup d’événements ont eu lieu, et vous êtes maintenant à la tête de votre propre label. Auriez-vous pu imaginer pareille évolution à l’époque ?
Honnêtement non. Mais ce que j’espérais, et ce que j’avais l’intention de faire était beaucoup plus ambitieux comparé à ma situation actuelle. Je ne suis jamais satisfait en fait, dès que je franchis un cap, je veux tout de suite aller à la prochaine étape, je ne m’arrête jamais, comme la vie qui ne cesse de changer ! C’est un peu comme les nuages, leurs formes ne restent jamais les mêmes. Le corps humain et notre âme évoluent constamment également, donc il est très important d’apprécier notre vie à sa juste valeur. Les gens s’habituent trop rapidement, et oublie de jouir de chaque moment … je veux dire, par exemple, quand les gens boivent de l’eau, ils le font sans réfléchir, ne se rendent plus compte de son goût, et cela ne devrait pas être ainsi.

Votre album live à Londres a une signification particulière puisqu’enregistré quelques jours après le tsunami de 2011. La situation semble assez compliquée actuellement au Japon, alors en tant qu’artiste populaire, pensez-vous que vous avez un quelconque pouvoir pour faire changer les choses ?
Je ne sais pas vraiment ce que je pourrais faire en tant que musicien, je ne suis pas très sûr du pouvoir réel de la musique … en réalité, elle ne peut pas changer le monde. Si vous écoutez simplement de la musique, cela n’aura aucune incidence. Mais la musique peut changer les gens, qui peuvent ensuite changer le monde. Donc tout ce que je peux faire, c’est redonner du courage aux gens avec ma musique. Peut-être que mes fans, ceux qui m’écoutent, feront des choses bien par la suite.

Mais c’est vrai que la situation au Japon est assez chaotique, ce qui arrive à Fukushima n’est pas normal, cela a des répercutions sur le monde entier ! On ne peut pas laisser la situation continuer comme ça, ne serait-ce que pour la planète. Elle ne nous appartient pas, nous ne faisons que vivre dessus, donc les gens doivent prendre conscience de la chance qu’ils ont et en prendre soin, ne serait-ce qu’en recyclant. Par exemple j’aime beaucoup la mode, mais je déteste jeter des vêtements, cela n’a pas de sens. Ce n’est peut-être pas vraiment ce que devrait faire une rock star, mais je déteste vraiment ça. Dans un sens, les français sont un peu pareils : vous prenez soin de votre patrimoine architectural, vous ne détruisez rien.
Enfin bref, au niveau de la musique, je crois sincèrement que je pourrais faire quelque chose pour le monde si j’avais un champ d’action et d’influence beaucoup plus grand. En étant qu’un petit nombre, on ne peut rien faire. Je ne dis pas que c’est impossible, mais je devrais avoir plus de pouvoir.

Vous êtes l’un des artistes japonais à être le plus venus en Europe, pensez-vous que votre succès est une exception, ou bien que la porte est ouverte à d’autres groupes japonais ?
Je suis très honoré de pouvoir revenir ici. Ce n’est pas facile, mais le soutien de mes fans rend cela possible. Continuer de venir en Europe est très important, cela permet d’entretenir les liens entre les gens et moi-même. Vous avez une culture et une façon de penser totalement différentes, mais on peut apprendre à se connaître à travers la musique.
En fait, je ne sais pas vraiment comment répondre à cette question, il y a un mouvement pour la culture japonaise en Europe, mais cela ne durera qu’un temps. A un moment ou à un autre, il s’étiolera, et disparaîtra. Je ne dis que c’est mauvais qu’un tel mouvement existe, mais ce n’est pas quelque chose qui durera éternellement. Un mouvement reste un mouvement, il y a un pic à atteindre, et puis c’est la chute libre ensuite. C’est pour cela que ça s’appelle ainsi non ? Donc revenir constamment, entretenir les relations, montrer son respect à un public qui évolue sans cesse … c’est important. Mais j’apprécie énormément le soutien des français, et leur intérêt pour la culture japonaise. Nous sommes reliés par des liens très profonds.

Merci Miyavi de nous avoir accordé un peu de votre temps, et donc à demain !
Merci à vous, à demain.

Remerciements à Yazid Manou, Universal Japan, ainsi que Live Nation. Propos et photos recueillis par Tatiana Chedebois & Laure Ghilarducci pour le Journal du Japon.

Tanja

Tanja écrit sur la J-music, les mangas et les anime depuis plus de 25 ans. Tombée très tôt amoureuse du Japon, elle est rédactrice depuis 1997 dans différents fanzines, magazines (Japan Vibes, Rock one), webzines (JaME, Journal du Japon) ainsi que sur son blog (Last Eve). Avec son groupe de visual kei français elle fait en 2004 la première partie de Blood premier groupe de vk à venir en France. En 2019, elle co-crée le podcast du BL Café pour parler de Boys' love aux plus grand nombre. Puis en 2022, elle intègre la team du Cri du mochi pour parler manga et anime généraliste sur Twitch.

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